Le Vice-Amiral d’Escadre (2ème section) Hervé GIRAUD (Hoche 1964) est venu nous parler du Général d’Armée Henri GIRAUD (1879–1949), son grand père. Il avait déjà honoré le lycée Hoche par sa présence et par une allocution remarquée, lors de la cérémonie du Souvenir, le 10 novembre 2015.
Le 22 mars 2016, il nous a vivement intéressés une nouvelle fois, en évoquant la vie et l’œuvre du Général GIRAUD, dans son contexte historique, bouleversé et douloureux, qu’il connaît parfaitement, par sa famille et par sa carrière militaire ; il a accompagné son exposé, très précis et documenté, d’enthousiasme et de brio. Comme il est impossible de le restituer en entier, nous avons retenu es grands moments de cette vie, et le plaidoyer contre l’oubli de son action et l’ingratitude à son égard. Il est en effet, comme le rappelle Hervé, un grand libérateur oublié.
1. Un officier prometteur
Le Général GIRAUD fait partie (avec les futurs généraux de Gaulle, de Lattre, Juin) de cette génération d’officiers qui ont marqué l’histoire de notre pays et ont grandi, à la fin du XIXème siècle, dans le mouvement d’espérance nationale du retour de l’Alsace-Lorraine arrachée par à la France après la défaite de 1870. Esprit de revanche entretenu dans l’opinion grâce à l’action d’écrivains tels que Maurice Barrès et d’hommes politiques tels que Georges Clémenceau.
En 1914-1915, Giraud est capitaine. Blessé d’une balle au poumon à la bataille de Guise le 30 août 1914, laissé pour mort sur le champ de bataille, puis ramassé par des brancardiers allemands et fait prisonnier, il s’évade deux mois plus tard et regagne le front jusqu’à la victoire. Le 23 octobre 1917, il reprend avec son bataillon le fort de La Malmaison tenu par la Garde impériale ; cet exploit connaît un très grand retentissement. Nommé commandant, il participe ensuite à toutes les offensives de 1918 au sein de la fameuse division marocaine, et termine la guerre avec cinq citations dont quatre à l’ordre de l’Armée.
2. Entre les deux guerres : l’Afrique du Nord, et la menace allemande.
Après deux années de repos forcé dû à ses blessures de 1914-18, il est rappelé au service lors du déclenchement, au Maroc, de la guerre du Rif où ses qualités de tacticien et de chef lui valent les éloges de Lyautey. Blessé, il se distingue par la capture du chef rifain, Abd-el-Krim (1925). Un fait d’armes célébré par tous les grands journaux et applaudi par l’opinion publique.
Affecté ensuite à l’Ecole de guerre (1927) comme professeur d’infanterie, il enseigne et participe à la réflexion stratégique, soulignant avec clairvoyance le rôle croissant des chars et de l’aviation.
En 1930, nommé général, il parachève la pacification du Maroc. Après avoir commandé la division d’Oran, il est nommé début 1936 gouverneur militaire de Metz, qui est alors la capitale militaire de la France face à l’Allemagne. Convaincu des intentions belliqueuses du nouveau régime allemand, il pousse sa hiérarchie à se montrer ferme face à Hitler en ripostant, en1936, à la réoccupation de la Rhénanie par l’Allemagne et, en 1938, peu avant les accords de Munich, en recommandant à l’Etat-major d’occuper préventivement la Sarre pour donner l’avantage à la France lors du prochain conflit. Hélas ! Il n’est pas écouté.
3. Les grandes épreuves et les grandes réussites : 1940-1949
Promu général d’Armée, Giraud réalise en mai 1940 la manœuvre Bréda (une des rares grandes offensives françaises de la guerre de 1940), à la tête de la VIIe Armée, à laquelle le général Gamelin l’arrache le 15 mai pour le nommer en catastrophe à la tête de la IXème Armée alors en pleine débâcle devant la ruée des panzers à travers les Ardennes. Mais le 19 mai 1940, Giraud, toujours en première ligne, tombe aux mains du Panzer Gruppe du général Von Kleist et il est transféré dans la forteresse de Königstein (Saxe). Il refuse de prêter serment de ne pas s’évader, et écrit en septembre sa fameuse « Lettre à ses enfants » qui commence par ces mots : « Je vous interdis de vous résigner à la défaite… » et qui va connaître un grand retentissement au sein de l’armée d’armistice en France occupée.
Deux ans plus tard, le 17 avril 1942, à 63 ans et malgré les séquelles de nombreuses blessures, Giraud s’évade en descendant un a pic de plus de 40 mètres avec une corde qu’il a tissée lui-même puis, après un périple mouvementé de 800 kilomètres à l’intérieur du Reich, poursuivi par la Gestapo, mais grâce au concours des résistants alsaciens et lorrains dont plusieurs le paieront de leur vie, il parvient à regagner la zone libre par l’Alsace et la Suisse. Cette « évasion retentissante » est le premier camouflet à Hitler sur le territoire même du Reich. Lors d’un discours aux Communes, Churchill lui rend cet hommage : « Giraud, l’homme qu’aucune prison ne peut retenir. » Refusant de se constituer prisonnier comme le lui demande Vichy, Giraud, prend contact avec les Américains (accords GIRAUD/MURPHY du 2 novembre 1942 qui préservent la souveraineté française) et organise l’ORA (l’Organisation de résistance de l’Armée).
Le 6 novembre 1942, Giraud s’évade de France à partir d’une plage du Lavandou en direction de l’Afrique du Nord où, retardé par le mauvais temps, il n’arrive que le 9 novembre alors que le débarquement allié a commencé la veille.
Les Américains décidant- en son absence – de jouer la carte Darlan, il se rallie à contre cœur à cette formule pour cause d’urgence stratégique et, le 19 novembre, il relève l’ultimatum de Von Rundstedt : la bataille de Tunisie commence. Mal armés, mal équipés, 80000 soldats français font preuve d’un héroïsme quotidien durant cinq mois. Le bilan est terrible : 10 000 tués et disparus.
Le 28 novembre 1942, il est déchu par Vichy de la nationalité française. Ses biens sont confisqués et sa famille est déportée en Allemagne.
Fin décembre 1942, après l’assassinat de l’amiral Darlan, il devient commandant en chef civil et militaire de l’Afrique du Nord. Et en janvier 1943 lors de la conférence d’Anfa, il obtient de Roosevelt le réarmement de l’armée française qui va lui permettre de tenir sa place dans la bataille d’Europe. « C’est à Giraud et à lui seul que l’on doit le réarmement de l’armée française », écrit le Pr. Philippe Masson. La célèbre photo de sa poignée de main avec de Gaulle, en présence de Roosevelt et Churchill, fait le tour du monde.
Le 20 mai 1943, dans Tunis libéré, Giraud et Eisenhower président côte à côte le défilé de la victoire. Roosevelt écrit à Giraud : « J’exprime l’admiration du peuple de l’Amérique en saluant la brillante contribution des forces françaises sous votre commandement, qui vient d’aboutir, hier, à la délivrance de Tunis et de Bizerte. ».Giraud invite de Gaulle à le rejoindre à Alger et, le 3 juin 1943, les deux généraux créent ensemble le CFLN (Comité Français de la Libération Nationale) qu’ils co-président.
Sans l’aide des Alliés qui trouvent l’affaire trop risquée, et contre l’avis du Général de Gaulle et de certains membres du CFLN qui prédisent un «bain de sang», Giraud libère la Corse en trois semaines avec l’appui de la Résistance corse. Le 4 octobre, de Gaulle le félicite au nom du gouvernement de « l’heureuse issue » de l’opération militaire. « Il l’avait prescrite et lancée. Il en avait assumé le risque. Le mérite lui en revenait », écrira-t-il dans ses Mémoires.
La politique reprenant ses droits, Giraud se voit retirer ses attributions de co-président en novembre 43, mais devient Commandant en chef de l’armée française réunifiée (Armée d’Afrique et FFL), et lance le corps expéditionnaire français commandé par Juin dans la campagne d’Italie.
Partisan de l’offensive danubienne à partir de l’Italie reconquise, Giraud est placé, le 14 avril 1944, pour cause de différent géostratégique avec le Général de Gaulle, en réserve de commandement. Le Général de Gaulle décide donc de supprimer le poste de Commandant en chef des Armées françaises occupé par Giraud.
Le 15 avril 1944, au cours d’une conférence de presse, à Alger, le général de Gaulle lui rend néanmoins cet hommage : “Je dis bien haut que la magnifique carrière militaire du général Giraud fait extrêmement honneur à l’Armée française. Je dis bien haut que son évasion légendaire de la forteresse allemande de Königstein, sa volonté immuable de combattre l’ennemi, sa participation éminente à la bataille de Tunisie et à la libération de la Corse, lui assurent, dans cette guerre même, une gloire qui ne sera pas oubliée !”
Relégué à Mazagran, Giraud y est victime d’un attentat le 28 août 1944, mais il s’en sort miraculeusement. Rentré en France fin 1944, il tente de retrouver sa famille déportée à Friedrichroda (Thuringe) où est morte sa fille ainée, Renée.
Après la guerre, il écrit deux livres : Mes Evasions (1946) ; Un seul but, la Victoire (1949)
Après avoir reçu sur son lit d’hôpital la Médaille militaire, distinction suprême pour un général ayant commandé en chef devant l’ennemi, il décède à Dijon, le 11 mars 1949, Le général de Gaulle vient se recueillir devant sa dépouille et lors de ses obsèques nationales, Paul Ramadier, président du Conseil, et Max Lejeune, ministre de la Défense, prononcent son éloge funèbre. Son corps, exposé sous l’Arc de triomphe, est ensuite conduit dans la crypte des Invalides, parmi ses pairs.
Sa quatorzième et dernière citation dit ceci : « Chef prestigieux, aux états de service splendides, s’est évadé en avril 1942 de la citadelle de Königstein, exploit tenant de la légende, avec la volonté ardente de reprendre le combat. Présent à Alger à l’heure décisive, a pris une part déterminante à la rentrée en guerre de l’Afrique du Nord dans la guerre. A réussi dans les moindres délais à jeter les troupes françaises, face à l’avance allemande, en couverture des débarquements alliés, préparant, par les succès de Medjez-el-Bab, de Pichon, de Fahd et de Kasserine, la libération de la Tunisie. Quelques mois plus tard, en une action d’une audace extrême, avec des moyens réduits uniquement français, s’appuyant sur les combattants du maquis, a libéré la Corse, premier département métropolitain repris à l’ennemi. Enfin, de 1942 à 1944, a hautement contribué à organiser l’Armée française de la Libération qui devait s’illustrer dans les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Soldat magnifique, d’un courage jamais abattu, d’une dignité égale à son abnégation, compte parmi les gloires les plus pures de l’Armée française. »
On peut retenir du Général GIRAUD, une grande œuvre, un grand chef militaire, un vrai patriote parfaitement désintéressé qui ne mérite certainement pas l’indifférence – quand ce n’est pas l’ingratitude – qui entoure encore trop souvent son souvenir (par exemple, son nom est trop peu donné à des lieux publics en France). Il est bien le grand libérateur oublié.
Merci beaucoup à Hervé GIRAUD d’avoir évoqué cette grande figure auprès des nombreux élèves et anciens élèves de Hoche, visiblement enchantés par sa conférence, de l’avoir fait revivre devant nous avec talent.
Vincent BOURGERIE, Vice-président de l’Association des Anciens de Hoche.
Roger Tran-Dinh-Nhuan
Merci pour cette belle conférence organisée par l’association. Une page masquée de l’histoire nous est présentée avec beaucoup de rigueur, d’objectivité et de passion par notre ami et ancien élève du lycée Hoche l’amiral Hervé Giraud.
Roger Tran-Dinh-Nhuan (ancien de Hoche)