Paul DOURY était doué, très doué.
Nous nous sommes rencontrés, nous avions tous deux une dizaine d’années. Il était mon aîné de deux ans. C’était le début de la seconde guerre mondiale, mais nous ne savions pas ce qu’elle allait être. L’avenir était plus qu’incertain pour tous.
Après le bac, et la guerre, ce furent les études à Paris et, même si nous n’avions pas choisi la même voie, souvent nous avons fait le voyage ensemble sur la ligne Versailles Rive droite – Saint Lazare. Paul était volontiers bavard et moi aussi. Nous avons refait le monde à maintes reprises, bercés – ou plutôt secoués – par des wagons qui avaient été modernes au début du vingtième siècle, mais beaucoup moins dans les années 50… Il m’a souvent énervé : quel que soit le sujet abordé, il en savait toujours plus que moi, notamment en histoire. Il voulait faire de la médecine. Il s’est présenté au concours d’entrée à l’école de Lyon qui formait les « médecins coloniaux ». Il a été reçu. Il était doué.
Il fut, à ce titre, comme il le raconte dans l’un de ses livres « l’un des tous derniers élèves d’Henry Foley » (Henry Foley, pour qui l’ignore, fut celui qui découvrit le rôle du pou comme agent de transmission de certaines maladies – notamment la « fièvre récurrente mondiale »). Paul fut d’abord affecté dans le Hoggar, puis dans le sud saharien, avec la dureté du climat et les risques sanitaires que comportaient de tels séjours pour lui et les siens. Comme tous ses collègues, il était médecin, tous les jours, 24heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par an, avec toutes les tournées dans le « bled » que cela supposait. Il s’est passionné pour son métier qui sauvait des vies, luttant contre les maladies épidémiques ou endémiques. Il a été un des artisans de l’œuvre effectuée par les médecins français pour doter ces régions des premiers éléments d’un système de soins cohérent et d’un système hospitalier. Après ce séjour africain, il est remonté dans le Maghreb, plus précisément au Maroc, où il a exercé à l’hôpital Mohammed V des forces armées marocaines et à la faculté de médecine de Rabat.
Un jour, un de ses collègues lui a demandé de l’aider à préparer l’agrégation de médecine. Comme il me l’a raconté, il s’est dit, à cet instant « au fond, pourquoi je ne me présenterais pas à ce concours ? ». Ce qu’il fit et fut reçu. Il était très doué !
Agrégé de médecine, il a été titulaire de la chaire d’hygiène à l’hôpital militaire du Val de Grâce, où il a terminé sa carrière comme « médecin général inspecteur ».
Mais la retraite n’a pas signifié pour lui l’arrêt de toute activité. La recherche historique avait toujours été une passion inassouvie. Il a repris ses études et les a continuées jusqu’à obtenir un doctorat d’histoire le 28 juin 2006 à l’université Paris IV, avec comme sujet « Lyautey et le Tafilalet ». Il s’était toujours demandé pourquoi son grand-père avait quitté l’armée avant la limite d’âge et, un jour, lors de ses recherches, il a trouvé une annotation de Lyautey ainsi libellé « affaire DOURY réglée ». Il a voulu comprendre ce dont il s’agissait. Lyautey avait décidé, de sa propre autorité, en pleine guerre européenne d’entreprendre une opération de grande envergure visant à couper le « bloc berbère » en deux à travers le Moyen Atlas, avec la jonction des troupes de la région de Meknès au nord-ouest avec celles de Bou Denib au sud-est, c’est à dire d’occuper le Tafilalet, berceau de la dynastie marocaine : il escomptait des bénéfices symboliques considérables pour un coût minime. En 1917, cette opération eut lieu, mais elle entraina un soulèvement général des tribus l’année suivante, qui s’étendit jusqu’à la Moyenne Moulouya et qui dura jusqu’en 1917, malgré l’appui des autorités militaires algériennes et se termina par un retrait des troupes françaises. Lyautey, loin d’assumer son erreur en fit porter la responsabilité au lieutenant-colonel DOURY, commandant de l’unité mobile de Bou Denib, dont la carrière prometteuse fut brisée net. Jacques Frémeaux, président de son jury de thèse a loué la qualité de son travail et de son objectivité (bien que le sujet ait été traité par le petit-fils de l’intéressé, « l’étude n’en demeure pas moins impartiale et la démonstration parait difficilement contestable »). J’ai assisté à la soutenance de sa thèse. Tout le monde a été impressionné. Il était vraiment très très doué.
Il était président d’honneur de « La Rahla, Amicale des Sahariens ». Il avait été élu, en 1993, membre correspondant de l’Académie de médecine. Ces deux titres sont, d’une certaine façon un résumé de sa vie.
Lorsqu’il a appris qu’il était atteint de la maladie de Parkinson, il m’a dit cette simple phrase : « je sais ce qui va se passer ». Il a été d’une étonnante lucidité jusqu’au dernier moment. C’était un « Grand Monsieur ».
Je ne voudrais pas terminer ce petit message sans rendre hommage à son épouse Micheline et rappeler que s’il fut un travailleur acharné, ceci ne l’a pas empêché de créer une famille avec elle, ses trois filles et son fils, que je salue ici.
A titre personnel, je voudrais dire qu’il fut un ami solide et fidèle, même si nos métiers respectifs ont maintenu entre nous une distance certaine au plan géographique.
Merci à l’association des Anciens de Hoche d’avoir permis de nous retrouver.
Guy Vidal (1934-1946)