Antoine BROWAEYS fait partie des physiciens expérimentateurs (plutôt que théoriciens). Ancien de Hoche (Maths HX et P’ en 1990-92), il a intégré l’ENS de Cachan, et a été Major de l’agrégation de physique. A l’Institut d’Optique de Paris (CNRS), il a réalisé son doctorat (en 2000) puis passé deux ans à Washington (National Institute of Standards and Technology) ; depuis 2010, il est Directeur de recherche au CNRS, à l’Institut d’Optique à Palaiseau, à la tête d’une dizaine de physiciens, et enseigne également à Polytechnique.
Sa conférence du 7 octobre 2015 a porté sur « Le cirque quantique : comment dompter des atomes avec des lasers ».
1. Contexte et bases des recherches d’Antoine BROWAEYS
Le contextede ses recherches est la physique quantique, vieille d’un bon siècle, en préambule à sa conférence, Antoine BROWAEYS rappelle une phrase célèbre de l’une des grandes figures ayant posé les fondements de la mécanique quantique, le Pr. Erwin SCHRÖDINGER déclarant en 1950 qu’on ne peut pas faire d’expériences avec un seul atome….,et Antoine BROWAEYS nous a montré combien les choses ont changé après cette affirmation.
Ses expériences multiples de domptage des atomes utilisent
- des atomes de rubidium (Rb), qui ont 37 électrons : rappelons que les électrons sont placés, par rapport au noyau de leur atome, sur des orbites de rayon croissant caractérisé par un nombre entier n(d’autant plus élevés que n est grand) et correspondant à autant d’états, de plus en plus « excités (en s’éloignant du noyau) », c’est-à-dire de plus en plus énergétiques ;
- le laser, émetteur de Lumière Amplifiée par Stimulation d’Emission de Radiations, sert de « fouet du dompteur » émettant quelques mW (milli-Watts), c’est-à-dire à piéger les atomes, à les refroidir (pour réduire leur énergie cinétique), à les voir et à les manipuler,
- les dits atomes et leurs électrons, qui font partie des objets quantiques, soumis à la physique du même nom.
Elles se déroulent dans le domaine d’application des lois de la physique quantique, dans le royaume des nanomètres et micromètres cube (1 nm = 1 milliardième de mètre ; 1 µm³ = 1 millionième de m³)
Plusieurs grandes expérimentations de capture et d’étude d’objets quantiques ont eu lieu avant celles de l’équipe d’Antoine BROWAEYS, et sont décrites au paragraphe 3.
2. Le concept « ridicule » de SCHRÖDINGER
L’observation des objets quantiques montre que chacun d’eux peut-être « simultanément dans plusieurs états » à la fois, et c’est en apparence aussi paradoxal (et ridicule aux yeux de SCHRÖDINGER) que d’avoir par exemple un même chat simultanément vivant et mort (on sait ainsi que SCHRÖDINGER a laissé son nom à la célèbre expérience de pensée du chat de SCHRÖDINGER).Par exemple,
- un photon peut « simultanément »suivre deux chemins distincts,
- en avançant sur un chemin, il peut se « couper en deux puis se recomposer » ,
- un même électron peut se trouver soit dans une orbite (un étage) soit dans un autre, pouvant être « à la fois dans son état fondamental et dans un état excité ».
D’autre part, même avec des photons préparés de façon identique on ne peut pas prévoir à l’avance leur état à la fin de l’expérience.C’est l’aléatoire caractéristique de la physique quantique.
3. Le piège de H DEHMELT : l’oscillateur à électron unique (1973)
L’électron capturé dans ces expériences est comme une bille dans un bol : pour qu’il y reste il est nécessaire que son énergie soit inférieure à celle lui permettant de sauter au dehors du bol. Pour la maintenir dans cette condition, on utilise la force de LORENTZ en le soumettant à ces champs électro-magnétiques. Ainsi DEHMELT a-t-il pu immobiliser pendant 8 mois un électron et mesurer ses propriétés, notamment son moment magnétique avec une précision fantastique, confirmant à cette occasion les calculs desthéoriciens qui à l’époque était moins précis que l’expérience ; le Prix Nobel a couronné ses travaux.
4. Les captures d’atomes – les apports de l’Institut d’Optique
Historiquement, une méthode pour voir des atomes utilisait un microscope à effet tunnel, permettant de voir la répartition d’atomes sur une surface, mais elle ne permettait pas de voir un atome seul, isolé dans l’espace. Au contraire dans les expériences de l’Institut d’Optique, un faisceau lumineux issu d’un laser est envoyé sur un atome isolé, et on l’observe ainsi à l’aide d’une caméra, pourvu que la fréquence de cette lumière soit résonante avec celle que l’atome peut absorber pour passer d’un de ses états à un autre. L’atome diffuse alors la lumière, il fluoresce.
Actuellement, au laboratoire de l’Institut d’Optique d’A. BROWAEYS, c’est le champ électrique d’un laser qui est utilisés pour créer un dipôle (dans lequel les particules chargées + sont séparées de celles chargées -), tirer l’atome vers le point focal du laser, et le piéger ainsi dans un cube de 1 μm³, après avoir refroidiles atomes tout près du zéro absolu en les bombardant des lumières croisées de plusieurs lasers.
La pince optique ainsi utilisée est bâtie à l’aide des lasers en question, résonnant avec les atomes visés et réalisant ainsi un piège de 1 µcm³, des caméras, les atomes de rubidium à l’état de vapeur. Cette installation exige le concours quelques 3 personnes x années et 300 k€.
Avec les atomes ainsi piégés, le laboratoire de l’Institut d’Optique a pu
- provoquer des « oscillations de Rabi », c’est-à-dire transférer « sur mesure » 1 électrons d’un niveau (c’est-à-dire d’un état) à un autre,
- mesurer les forces d’interaction des atomes, dans des expériences où le nombre des atomes et leurs distances respectives varient, et ainsi confirmer par expériences les calculs théoriques (anciens) de Van der Waals.
5. Applications
Grâce à cette ingénierie quantique, trois grandes applications sont déjà en développement :
5.1 La simulation quantique
Sur le plan purement scientifique, elle vise comprendre comment passer des lois de la physique quantique (applicables à « l’infiniment petit », au stade de l’atome) à celle des objets courants, qui est celui des moles de la chimie (rappel : 1 mole = 1023 molécules élémentaires) par le biais de simulation matérielles et non de calculs (trop difficiles à mener).
5.2 Perfectionner des technologies
Sur le plan très pratique (industriel), on peut citer, entre autres retombées de cette simulation quantique, la supraconductivité simulée, qui pourrait permettre de mieux comprendre la supraconductivité à haute température et pourrait notamment être la source de nouveaux procédés de stockage de l’électricité, de renforcements des alliages métalliques, et de gains considérables sur les rendement des moteurs électriques.
5.3 L’ordinateur quantique
En y utilisant les ordinateurs quantiques qui peuvent théoriquement mener plusieurs calculs en parallèle en utilisant les lois de la mécanique quantique – on pourrait accélérer la vitesse de fonctionnement des ordinateur et la résolution des algorithmes, alors que les limites de la miniaturisation continue et croissante des mémoires (Loi de Moore) commencent à se faire sentir ; un ordinateur sensé être fondé sur ces principes est déjà produit au Canada mais ses réels apports innovants, et ceux de ses versions futures, restent encore à prouver.
6. Conclusion
Antoine BROWAEYS nous a ainsi fait découvrir des découvertes récentes de l’infiniment petit, après que Frédéric DAIGNE, lors de la conférence précédente à Hoche, nous avait conduit dans celles de l’infiniment grand (les galaxies), en nous présentant les sursauts gamma, qui parcourent des milliards d’années-lumière. Comment ne pas penser : autour de nous, dans de l’Univers, que d’impressionnantes réalités, démesurées pour nous vers les deux infinis, déjà perçues par Blaise PASCAL !
En conclusion de la conférence, des salves d’applaudissements, puis des questions spontanées, ont fusé de la part des quelques 160 élèves visiblement très intéressés, et des dizaines de professeurs et anciens élèves.
A l’heure de ce compte rendu, nous renouvelons à Antoine nos vifs remerciements.
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