Témoignage de Jean Claude Freysz
Mes classes primaires au Lycée Hoche
Agé de six ans, je fis mon entrée au Lycée Hoche en octobre 1941, en classe de 10e (CE1?). À cette époque lointaine le lycée comportait des classes primaires qui permettaient de suivre un cursus complet jusqu’au baccalauréat sans changer d’établissement. Ce fut mon cas de 1941 à 1953.
En ces temps d’occupation allemande et de régime vichyssois, nos cours se déroulaient sous le regard « paternel » du maréchal Pétain, dont l’effigie trônait dans chacune de nos salles de classe. « Quarante millions de pétainistes », proclamait naguère Henri Amouroux dans sa grande histoire des Français sous l’occupation ! Les vertus de la famille étaient à l’honneur et la propagande officielle répandait l’image d’un très vieux maréchal entouré de jeunes bambins, sous le regard attendrit de leurs mères, fières d’exhiber leur nombreuse progéniture… Travail, Famille, Patrie ! Les cadeaux au Maréchal étaient une véritable institution à laquelle se pliaient tous les corps de métiers. Pour notre part, nous étions fortement encouragés à lui adresser chaque année un très beau dessin. En dépit du rationnement alimentaire, notre santé n’était pas pour autant oubliée. Ainsi chaque matin une corpulente femme de service, Mlle Denise, passait dans les classes pour distribuer à chaque élèves deux biscuits « caséinés » et un bonbon rose « vitaminé ». À cette époque l’action des réseaux de résistance qui peu à peu prenaient naissance était, bien entendu, condamnée par le régime en place, et les premiers combattants de l’ombre qualifiés de « terroristes ». Influencés par la propagande officielle, les élèves de 9e et 8e ne jouaient plus durant les récréations aux gendarmes et aux voleurs, mais aux « miliciens et aux terroristes ». Lorsque les affrontements devenaient trop violents un bref coup de sifflet du célèbre pion TDM mettait promptement fin à ces débordements (voir dans un des bulletins de l’Association l’article consacré au célèbre TDM).
1941: je suis en 10e avec Mr Darré – débonnaire -, en 1942 en 9e avec Mme Martielle – sévère -, en 1943 en 8e avec Mme Dixmier – maternelle -.
6 juin 1944 : le Débarquement. Les alertes se multiplient et nous passons de longs moments dans les caves du Grand lycée. Dès le 1er Juin 44 nous sommes tous mis en congé : heureuse initiative, car le 24 juin deux bombes tombent sur le Lycée , dont une sur notre préau.
Fin octobre 44, c’est la rentrée des classes dans une France enfin libérée (l’Alsace de mes ancêtres ne le sera que début 45) ! J’entre en 7e avec Mr Gerbault. Décrochés les portraits de Pétain ! Condamnée l’idéologie vichyssoise ! Exit le proviseur Morguet et le censeur Dufrenois ! Epuration ?
Nouveau proviseur, nouveau censeur ! L’heure est venue d’inculquer dans nos jeunes cerveaux les valeurs républicaines !
L’artisan le plus actif de cette œuvre de réhabilitation est notre professeur de musique, Mr Engst, surnommé Mumu ou Tata Swing. C’est un très vieux Monsieur à l’allure surannée, portant un étrange costume tenant de la jaquette et de la queue de pie. Notre rééducation repose sur un lourd programme musical : Les trois premières strophes de la Marseillaise, le Chant du Départ, la Marche Lorraine, les Allobroges, chants interdits sous l’occupation, donc le plus souvent ignorés des jeunes élèves. Le temps nous est compté car la cérémonie du 11-Novembre approche. Elle revêtira en cette année de la Libération une évidente valeur symbolique. Ô surprise ! Notre illustre TDM arbore une chemise neuve et nous apparaît pour la première fois sans son béret crasseux !
César
C’est avec un grand intérêt que j’ai lu et apprécié votre récit, Jean-Claude ! Toute une époque ! Chantal